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Protection de l'enfance

18/10/2021

L’évaluation participative en protection de l’enfance, une mission impossible ?

Bastian Besson

L’évaluation participative en protection de l’enfance, une mission impossible ?

Depuis les années 80, la dimension de l’évaluation s’est imposée comme logique d’action inscrite au cœur des politiques sociales et le secteur de la protection de l’enfance n’échappe pas à ce mouvement comme en témoignent les lois de 2007 et 2016.

L’évaluation de l’information préoccupante et la recherche d’éléments de danger conduisent les professionnels à développer une approche centrée sur les besoins de l’enfant en concertation avec les parents.

Comment peut-elle permettre d’approcher au plus près de la situation d’un enfant dans une méthodologie à la fois la plus objective possible et dans une visée participative ?

 

Un contexte d’accélération législative

 

Depuis une quinzaine d’années, le secteur de la protection de l’enfance fait face à une transformation rapide de ses logiques d’actions illustrée par un certain nombre de rapports et de lois comme en témoigne cette frise chronologique.

 

Ces mutations ont comme point commun le renforcement du caractère évaluatif des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux en protection en l’enfance. En effet, plusieurs affaires médiatiques [1] ont fortement agité l’opinion publique pointant de fait un certain nombre de dysfonctionnements du système de recueil et de traitement des éléments préoccupants.

Elles ont contribué à mettre en lumière l’absence d’une méthodologie évaluative et notamment d’outils partagés nécessaires pour pouvoir caractériser au mieux le niveau de danger de la situation d’un enfant.

 

La recherche d’objectivation au bénéfice de l’enfant

 

Comment objectiver une situation perçue par des travailleurs sociaux dans l’intimité du foyer familial ? Est-il possible d’intégrer à la fois un regard clinique de la situation relationnelle avec des critères objectifs définis en amont ?

D’emblée, et comme le précise Francis Alföldi, l’erreur diagnostique est inévitable et demeure alors « une menace permanente » [2]. L’enjeu consiste moins à établir avec précision la réalité d’une situation mais plutôt à pouvoir réduire cette marge.

Il s’agit donc de trouver une position intermédiaire entre des points de certitudes et une réalité subjective d’où le recours au concept d’objectivation qui peut se définir « comme un ensemble de méthodes propres à faire de la subjectivité un objet de connaissance »[3]

 

[2]

 

En d’autres termes, la question est de pouvoir rendre compte dans le réel d’un ensemble de dimensions affectives, sensibles et symboliques et ainsi déterminer si les réponses parentales sont suffisantes pour pouvoir faire élever ou faire grandir leur enfant.

L’enjeu est donc de pouvoir évaluer, si possible de manière conjointe avec les parents, la situation de l’enfant, à travers un certain nombre de critères définis en amont, d’en faire une analyse partagée et de proposer des orientations possibles. En cela, définir ce qui fait besoin pour l’enfant nous paraît être la première étape de ce processus.

 

L’approche par les besoins de l’enfant

 

La loi du 14 mars 2016 rappelle avec force la notion d’intérêt supérieur de l’enfant et contraint les travailleurs sociaux à devoir changer ou faire évoluer leur focale afin de pouvoir prendre en compte, de manière prioritaire, ce principe d’intervention.

Ainsi, il ne s’agit plus de se concentrer sur l’alliance éducative avec les parents, c’est-à-dire leur niveau d’acceptabilité de la relation avec l’intervenant, mais bel et bien de déterminer si les besoins de l’enfant sont compromis et dans quelle mesure.

A ce titre, et suite au rapport Marie-Paule Martin-Blachais remis à Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes en février 2017, la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux [4] nous sert de guide à la fois à l’observation et à l’analyse des besoins de l’enfant, et qui s’avère déterminante pour caractériser une situation de danger.

[4]

 

L’évaluation nous invite donc à considérer l’enfant au sein d’un système relationnel plus ou moins étendu permettant de mesurer à l’intérieur du cercle familial les ressources profitables pour le développement de l’enfant mais aussi de les inscrire plus largement dans l’environnement social de l’enfant porteur de possibilités plus ou moins grandes à mobiliser.

Cette démarche vise donc à trouver, idéalement avec la famille, des points d’appuis possibles permettant de remédier, soit temporairement ou soit de façon plus durable, à la situation de de l’enfant. L’idée est de pouvoir se décaler d’un regard porté sur le prisme de la faute ou de l’incapacité des parents mais de pouvoir inscrire les besoins comme objet principal de discussion.

 

 

 

A l’aulne des transformations majeures du secteur, l’évaluation figure comme l’un des enjeux majeurs en protection de l’enfance.

Cette dimension recouvre un certain nombre de principes d’interventions qui influent sur les postures professionnelles et notamment dans la définition d’un cadre à la fois évaluatif et participatif qui puisse faciliter les échanges avec les parents.

Mais, comme le souligne Jean-François Gaspard, le risque est grand pour l’intervenant de se placer en tant que sauveur de l’enfant, garant d’une « orthopédie normative » [5] et les freins à la participation s’avèrent encore trop nombreux pour pouvoir s’assurer de cette dynamique.

Nous verrons lors d’un prochain article que certaines expériences à l’international ont pu être menées pour permettre de résoudre cette tension entre évaluation et participation et peuvent être autant de sources d’inspiration pour renouveler un ensemble de pratiques professionnelles.


[1] On peut citer entre-autre l’affaire « Marina Sabatier ».

[2] Alföldi, Francis, « Le critère à trois niveaux : un concept pratique pour les professionnels de l’évaluation en protection de l’enfance », Les Cahiers de l’Actif, n°288/291-n°290/291, édité par Actif Formation, en mai-août 2000, p.201-214.

[3] Op. Cit.

[4] Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance – Février 2017, https://www.cnape.fr/documents/publication-du-rapport-de-la-demarche-de-consensus-sur-les-besoins-de-lenfant/

[5] Gaspar, Jean-François. Tenir ! Les raisons d’être des travailleurs sociaux. La Découverte, 2012

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