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Protection de l'enfance

04/11/2021

Evaluation, caractérisation, analyse des situations en protection de l’enfance … : qu’en est-il à l’international ?

Bastian Besson

Evaluation, caractérisation, analyse des situations en protection de l’enfance … : qu’en est-il à l’international ?

En janvier 2016, le Comité des Droits de l’Enfant, qui contrôle l’application de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) de 1989, a rappelé lors de l’audition de la France la nécessité d’établir une vision partagée des besoins fondamentaux de l’enfant.

 

En effet, sur le territoire national, la difficulté de faire consensus sur la définition de besoin permet difficilement aux intervenants sociaux d’avoir un ensemble de références communes qui puissent soutenir des pratiques évaluatives.

Pourtant, sur un plan international, un cadre d’analyse commun des besoins universels de l’enfant est à l’œuvre depuis plusieurs années avec des traductions différentes suivant les différents contextes culturels rencontrés.

 

 

Un cadre commun : le modèle britannique d’analyse écosystémique des besoins de l’enfant

 

Au tournant des années 90, le Royaume- Uni fut l’un des pionniers pour appliquer les principes retenus par la CIDE et dans la définition des besoins fondamentaux de l’enfant et notamment les mineurs relevant du système de protection britannique.

Dans les années 2000 et suite à différentes affaires médiatiques, le Royaume-Uni a renforcé le caractère évaluatif des pratiques professionnelles des intervenants sociaux à travers une approche écosystémique de l’action sociale.

De cette dynamique est née le cadre d’évaluation « British Assessement Framework for children in Need and their Families » qui est à la fois un modèle théorique mais aussi une méthodologie rigoureuse permettant de prendre en compte les besoins de l’enfant dans un système d’interactions.

L’idée est de pouvoir mettre en perspective ses besoins avec les capacités des parentales, le tout dans un contexte social et environnemental porteur de fragilités mais également de ressources à mobiliser pour tenter de résoudre la problématique familiale.

Cette triangulation entre l’enfant, la famille et le contexte permet d’objectiver une situation à travers une analyse multidimensionnelle dans une perspective d’actions visant à réduire les facteurs de risques.

Ce passage d’une culture de l’intervention sociale centrée sur le risque et le danger à une approche par les besoins constitue une révolution paradigmatique de la manière de concevoir l’action sociale en protection de l’enfance.

Teinté par une dynamique de coopération avec les parents, cette révolution amène également les travailleurs sociaux à évoluer dans la manière de considérer le public accueilli en recherchant systématiquement à faciliter la participation de la famille et de l’entourage et donc à offrir un cadre facilitant d’intervention.

Plus largement, ce cadre d’analyse a inspiré d’autres pays comme le Canada ou l’Italie dans la manière de construire des interventions ciblées sur les besoins de l’enfant.

 

 

Les initiatives AIDES (Cf. schéma) au Québec et PIPPI en Italie

 

Il y a quelques années, deux initiatives innovantes ont vu le jour en reprenant le modèle britannique afin de l’adapter à la réalité culturelle de leurs pays.

En Italie, le modèle PIPPI, du nom du personnage de fiction Fifi Brindacier (Pippi Longstocking en Italie) et qui par métaphore signifie l’esprit de résilience, est un programme porté par le Laboratoire de recherche et d’intervention en éducation familiale (LabRIEF) de l’Université de Padoue et soutenue par l’Etat italien.

Adopté au modèle culturel familialiste italien, cette approche est à la fois participative puisqu’elle mobilise directement les enfants et la famille mais également dans une visée de transformation sociale puisque c’est l’ensemble de l’action sociale qui est impacté par ce programme.

L’illustration de cette dynamique participative réside dans le « modèle multidimensionnel du monde de l’enfant (MDE) » qui est une manière pour l’enfant de représenter spatialement sa propre perception de sa situation afin qu’elle alimente l’analyse de la situation.

Appuyé par une équipe de recherche, la construction méthodique de la démarche vise à opérationnaliser les actions éducatives menées auprès de l’enfant et sa famille et à mesurer d’impact de l’intervention sur les réponses aux besoins.

Cette recherche d’objectivation a permis d’avoir le soutien de l’état italien quant aux financements de la politique de protection de l’enfance italienne mais pas que puisque le revenu de citoyenneté « reddito di cittadinanza » adopté en 2019 et qui vise à lutter contre la pauvreté, a intégré l’approche de « l’évaluation participative et transformative (EPT) » développée par le modèle PIPPI.

Au Québec, l’initiative « Action Intersectorielle pour le Développement des Enfants et leur Sécurité » (AIDES) s’est également intéressé au modèle britannique en l’adoptant au fonctionnement communautaire de cette région du Canada.

En effet, elle vise à développer également un modèle d’analyse des besoins de l’enfant avec un changement étymologique majeur puisque désormais le terme d’analyse supplante celui d’évaluation jugé comme étant trop connoté pour les intervenants sociaux formés à cette démarche.

L’enjeu vise à travers la triple perception des besoins de développement de l’enfant (besoins/réponses/facteurs) à développer une stratégie à plusieurs niveaux d’acteurs + ou – éloignés de la mission de protection mais tous concernés par l’éclairage de ses besoins.  C’est donc une démarche écosystémique qui vise à pouvoir analyser une situation tout en créant des connexions au sein de la communauté.

Un certain nombre de travaux universitaires animés notamment par l’Université de Montréal appuie sur un plan conceptuel et méthodologique la démarche permettant de consolider l’expérimentation sociale et de l’essaimer à travers le monde.

A la différence du modèle italien, la grande limite de ce modèle est le manque de portage institutionnel mais aussi le caractère limité de l’expérimentation qui s’adresse à quelques territoires cibles.

 

 

Pour quels résultats ?

 

Concernant AIDES, plusieurs études[1] portées notamment par Claire Chamberland, professeure émérite à l’université de Montréal et Carl Lacharité, psychologue et professeur au département de psychologie à l’Université Québec Trois Rivières (UQTR) ont montré que cette initiative avait permis d’améliorer de manière significative le climat de confiance entre les intervenants sociaux et les familles mais également le climat de collaboration entre les différents acteurs concernés par les différents niveaux de la démarche.

Quant à l’initiative PIPPI et au-delà du portage étatique, l’efficacité du programme est démontrée scientifiquement depuis plusieurs années et notamment sur la capacité des familles à se saisir de l’aide et à se mobiliser en termes de ressources afin d’éviter le placement de leur enfant dans le cadre de l’évaluation de danger. Aujourd’hui, le programme est à sa 9ième mise en œuvre « impliquant 180 municipalités dans les 20 régions italiennes. Il a donc concerné environ 4500 enfants de 0 à 14 ans vivant dans 4000 familles ; 8000 praticiens y ont participé »[2].

 

 

Ces différentes initiatives ont apporté la preuve qu’intervenir de manière prioritaire sur les besoins de l’enfant et si possible en collaboration avec la famille réduisait de manière significative les effets de placement dans les établissements sociaux.

En France, où près de 53% des mesures d’aide sociale à l’enfance consistent en des placements de mineurs ou des accueils de jeunes majeurs en dehors de leur milieu de vie habituel[3], il apparait nécessaire de développer une approche participative de l’évaluation en protection de l’enfance.

Nous verrons lors du prochain article à partir des derniers travaux de la HAS en quoi une méthodologie d’évaluation peut contribuer à faire coïncider la notion de besoin et la caractérisation du danger.

 


 

[1] Chamberland Claire, Lacharité Carl, et al., « Recherche évaluative de l’initiative AIDES », rapport final d’évaluation, Montréal, université de Montréal, 2012.

[2] Chamberland, Claire, et Paola Milani. « Repères pour un renouvellement des pratiques en protection de l’enfance », Vie sociale, vol. 34-35, no. 2-3, 2021, pp. 141-158.

[3] Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES),  Communiqué de presse du 17 décembre 2019, Paris, disponible sur : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/cp_aide_sociale.pdf

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